Le 14 octobre 2022, par l’exécutif de l’Association Étudiante de l’Université McGill (AÉUM)
Les membres de la communauté étudiante et avoisinante ont partagé de sérieuses inquiétudes concernant le projet du Nouveau Vic de McGill. En réponse, l’AÉUM a rencontré divers partis intervenants, dont l’administration de l’Université, afin d’éclairer le processus décisionnel de McGill. Nous laissons ici un résumé de nos discussions afin de briser la « culture du silence » alléguée entourant cet enjeu.
Le projet du Nouveau Vic de McGill s’inscrit dans le Plan directeur de McGill qui concerne le développement physique de l’Université sur ses deux campus au cours des prochaines décennies. En effet, l’Université a l’intention de transformer une partie de l’ancien site Royal Victoria en un nouveau pavillon de systèmes de développement durable et de politiques publiques. Ce plan, officiellement endossé par le Conseil des gouverneurs de McGill en janvier 2019, reconnaît la nation kanien’kehá:ka comme gardienne traditionnelle des eaux et des terres sur lesquelles ces campus sont situés. Par ailleurs, le plan prévoit un dialogue ouvert et une consultation continue avec les communautés autochtones.
En octobre 2021, le kanien’kehá:ka kahnistensera, un groupe de mères mohawks, a publié un article demandant l’arrêt immédiat de « tous les plans de reconstruction des sites de l’hôpital Royal Victoria et de l’institut Allan Memorial » (traduction libre). Dans cet article, les kahnistensera, gardiennes de thequenondah (deux montagnes/Mont-Royal), expliquent que
Comme le site se trouve sur des terres kanien’kehá:ka, qui n’ont jamais été cédées, les kahnistensera sont les seules à pouvoir consentir à ce que des travaux soient effectués ;
- L’ensemble du site présente un intérêt archéologique puisqu’il contient l’histoire du premier village iroquois précolonial ;
- Il est nécessaire de conduire une investigation sur le terrain de l’institut Allan Memorial Institute pour y découvrir d’éventuelles tombes anonymes résultant du programme MK-Ultra.
- À notre connaissance, McGill n’a jamais répondu publiquement à ces demandes. En février, les kahnistensera ont intenté un procès à McGill devant la cour fédérale à ce sujet, poursuivant l’Université, la Société québécoise des infrastructures (SQI) et d’autres.
Lors de nos entretiens avec les personnes représentantes de McGill, celles-ci ont insisté sur le fait que l’emplacement des éventuelles tombes anonymes issues des expériences MK-Ultra serait limité au Mémorial Allan. Plus précisément, McGill souligne qu’elle ne possède que 15 % du site situé à l’angle de l’avenue des Pins et la rue University, une partie éloignée de l’institut Allan Memorial.
Bien qu’Arkéos, la firme archéologique engagée par McGill, reconnaisse qu’il est moins probable que les corps présumés liés au programme MK-Ultra soient trouvés dans la partie du Royal Victoria appartenant à McGill, la compagnie affirme que cette zone présente tout de même un intérêt archéologique. En vérité, Arkéos semble être d’accord avec les kahnistensera sur la présence d’un village iroquois précolonial sur le site. Arkéos limite les zones d’intérêt archéologique à certaines parties du site sur la base des recherches préliminaires que la firme a menées en 2016. Les mères contestent ce récit, car thequenondah était densément peuplé par leurs ancêtres. Précisons que les kahnistensera identifient le pavillon Hersey (où la construction doit commencer en premier) comme une zone à « haut risque de contenir des tombes précoloniales et modernes de [leurs] proche » (traduction libre).
Lors de nos différentes rencontres avec les partis intervenants de l’Université McGill et de la SQI, des reconnaissances territoriales ont été effectuées. Cependant, comme le précise les politiques d’équité et de solidarité autochtone de l’AÉUM, il est impératif d’aller au-delà de la reconnaissance territoriale et, donc de reconnaître et de travailler à démanteler les systèmes historiques et continus d’oppression et de marginalisation coloniales. Nous espérons que les paragraphes ci-dessous permettront de dresser un portrait précis des mesures prises par McGill pour tenter de répondre aux besoins des communautés autochtones. À l’heure actuelle, il semble que ces mesures soient insuffisantes et que McGill n’ait pas réussi à examiner son rôle dans la perpétuation du colonialisme, en priorisant la réalisation efficace de son projet d’expansion plutôt que le respect nécessaire des lois et coutumes des terres qu’elle occupe.
En discutant avec les diverses personnes concernées, dont Fabrice Labeau, vice-recteur à la vie étudiante et à l’apprentissage, il est devenu évident qu’à ce jour, McGill n’a jamais rencontré les mères mohawks en dehors du tribunal. Malgré le fait que les kahnistensera aient envoyé un avis de saisie à l’Université McGill en 2015, qu’elles aient demandé à rencontrer sa présidente Suzanne Fortier à plusieurs reprises, et que l’Université ait été poursuivie à la fois en cour fédérale et provinciale, une invitation à rencontrer les mères n’a été lancée que récemment. Pour l’instant, l’invitation ne semble pas tenir compte des besoins des kahnistensera, qui souhaitent une rencontre à Kahnawake ouverte à tous, où le nombre de personnes autochtones dépasserait celui de celles non autochtones. Ces demandes sont compréhensibles compte tenu de la violence de l’oppression coloniale actuelle et passée.
Lors de nos conversations avec Dicki Chhoyang, directrice des relations avec les parties prenantes du plan directeur de McGill, elle a déploré que cette question soit portée devant les tribunaux. En expliquant leur choix d’aller en justice, les mères ont expliqué qu’elles étaient obligées de le faire en vertu de la Grande loi de la paix, kaianerekowa, pour leurs enfants à naître en tant que protectrices de la terre.
Tout au long de ce processus, McGill a discuté avec diverses parties prenantes. Lorsque les allégations ont été formulées pour la première fois, McGill a invité le corps professoral et le personnel autochtones à discuter de la question. Leur principale demande, selon l’Université, était que les allégations fassent l’objet d’une enquête sérieuse. À notre connaissance, cette enquête est toujours en cours devant les tribunaux.
Malgré le procès en cours, où une injonction sera examinée le 26 octobre, les excavatrices payées par McGill étaient occupées hier matin à enlever l’asphalte devant le pavillon Hersey. Alors que cette partie des travaux est bien avancée, aucun archéologue ou observateur autochtone n’est sur place.
Deux personnes observatrices sont censées être présentes pendant toute la durée de l’enquête archéologique. Selon l’administration, ces individus, recommandés par le Conseil de bande d’Akwesasne, ont de l’expérience dans ce domaine. Malgré le fait que cette volonté est louable, elle n’équivaut pas à une recherche archéologique menée par les communautés autochtones, ce qui est notamment la recommandation de l’Association canadienne d’archéologie et de la Commission de vérité et de réconciliation.
Ceci nous préoccupe grandement. McGill ne devrait pas pouvoir choisir comment et quand elle applique les principes de la Commission canadienne de vérité et de réconciliation. De plus, lorsqu’on a demandé à la firme archéologique Arkéos si elle avait pu rencontrer les kahnistensera, une personne représentante a admis qu’elle avait initialement fixé une rencontre qui a été, à la dernière minute, annulée par McGill et la SQI. Cela soulève la question de l’indépendance de la firme archéologique. En effet, leur processus de consultation semble avoir été limité par l’Université et la société gouvernementale.
Selon la loi québécoise, puisque le projet se déroule sur le Mont-Royal, seule l’approbation du Conseil de bande est nécessaire pour commencer la construction. L’Université McGill a expliqué que le ministère de la Culture du Québec a consulté le Conseil de bande de Kahnawake et a reçu l’autorisation nécessaire. L’Université, pour sa part, s’est engagée auprès des Conseils de bande de Kahnawake et d’Akwesasne.
McGill affirme également avoir présenté le projet aux maisons longues de Kahnawake. Deux sages de la Mohawk trail LongHouse ont confirmé être personnellement en conversation avec McGill depuis environ un an, d’avoir visité le site et d’avoir organisé une cérémonie de condoléances.
Au cours de la semaine dernière, McGill, la SQI et Arkéos ont tenu des séances d’information sur le processus archéologique pour divers groupes, notamment les personnes déléguées des associations étudiantes de McGill, des membres autochtones du corps professoral et du personnel et quelques personnes représentant la Handsome Lake Akwesasne LongHouse et la Mohawk Trail LongHouse.
Lorsqu’interrogé sur la présentation faite aux sages des maisons longues, Pierre Major, directeur exécutif du New Vic Project, a assuré que l’événement s’est bien déroulé. Pourtant, la police a été appelée à intervenir. McGill et les kahnistensera reconnaissent qu’il y avait moins de personnes autochtones présentes que de personnes allochtones représentant McGill, SQI et Arkéos.
McGill affirme avoir envoyé l’invitation aux secrétaires des maisons longues. Les kahnistensera soulignent dans un communiqué que ni eux ni leurs proches n’étaient au courant de cette réunion, «bien qu'[elles] soient des membres actives d’une maison longue.»(traduction libre) Cela semble être une habitude de l’Université : négliger l’importance d’un processus complet de consultation.
Lorsque nous avons interrogé Dicki Chhoyang sur les processus de consultation menés au sein de la communauté étudiante, elle a admis n’avoir contacté qu’un seul groupe étudiant autochtone sur six. L’ensemble de la communauté étudiante n’a jamais été consulté.
En fin de compte, une question demeure : Pourquoi est-il si urgent de commencer les travaux d’archéologie et de construction ? À notre avis, la seule raison pour laquelle l’Université McGill va de l’avant (alors que la date du procès est dans moins de deux semaines) est de prioriser les profits plutôt que les êtres humains. À plusieurs reprises, nous avons demandé aux personnes représentantes de McGill si elles allaient de l’avant avec les travaux parce qu’attendre l’audience du 26 octobre pourrait retarder leur calendrier de près d’un an et entraîner des coûts importants pour l’Université. Personne ne le contredit.